Cancérologie à l’Estrée : « Je suis la dame qui fait des câlins »

Sandie Boulanger est somatothérapeute. Cette psychopraticienne intervient auprès des personnes traitées en cancérologie et soins palliatifs à la Clinique de l’Estrée pour les aider à gérer la souffrance.



« Bonjour, je suis Sandie. Je suis la dame qui fait les câlins. » La présentation glissée dans un sourire auprès de l’un des membres de l’équipe médicale est pleine de légèreté. Elle contraste volontairement avec la gravité de la maladie et l’atmosphère chargée qui règne dans les chambres des patients, hospitalisés en cancérologie et soins palliatifs, à la Clinique de l’Estrée, à Stains.
La courte discussion concerne Anna (le prénom a été changé), une retraitée de 76 ans qui se remet doucement d’une opération chirurgicale importante, au cours de laquelle elle a reçu une poche. « Elle est fragile, il y a des moments où ça va, d’autres, pas. Elle subit, elle a besoin de câlins », confirme le soignant, en reprenant à son compte ce mot qu’on ne s’attend pas à entendre dans un établissement de santé.
Sandie Boulanger est somatothérapeute. « C’est la gestion de la souffrance et la douleur par le toucher», décrit la psychopraticienne qui intervient une fois par semaine en cancérologie. Une approche qui là aussi surprend dans un établissement de santé. Et pourtant… « Je masse le diaphragme, le ventre pour voir les tensions, les douleurs. On parle, on pleure, on se détend, comme si on ouvrait la fenêtre pour faire un grand courant d’air », explique-t-elle.
« Laissez sortir le chagrin »
Anna, la première patiente de la journée est un petit bout de femme au regard fort et intense que Sandie connaît depuis un an. « Comment ça va ? », lui demande-t-elle, en s’approchant du lit. « Je suis très fatiguée », répond la malade. La conversation se noue vite et facilement. Les sourires sont échangés mais la tristesse n’est jamais bien loin. « Je suis toute seule, je pense, je pense… », lâche Anna.
La somatothérapeute pose les mains sur le buste et le ventre d’Anna qui lui saisit le bras, ses yeux plongés dans ceux de la psychopraticienne. « Laissez sortir le chagrin », lui intime Sandie. Un peu de gaieté revient lorsque la patiente évoque son fils qui vient la voir tous les jours. Ou que la discussion aborde le quotidien à l’hôpital, comme les repas. Le verdict est unanime, quel que soit l’établissement: « Le manger n’est pas bon ! », s’exclame Anna.
Cette approche inhabituelle dans l’accompagnement du patient, Sandie Boulanger devait la présenter fin novembre, à l’Assemblée nationale, devant le groupe d’études Cancer, à l’invitation de la coprésidente, Sandrine Josso, députée (Modem) de Loire-Atlantique. L’audition a été reportée au début de l’année prochaine. « Elle a été touchée et bouleversée par l’attention assez particulière que cette somatothérapeute donne aux patients, précise un collaborateur de la parlementaire. Sandrine Josso est très attachée à la médecine intégrative et à tout ce qui entoure les patients et les malades qui suivent des traitements parfois très durs. »
« J’aimerais qu’on reconnaisse mon métier, la valeur thérapeutique de mon travail, souligne de son côté la psychopraticienne. Il n’y a pas de diplôme reconnu par l’État, comme pour les professionnels de santé, alors que je pense qu’on en a toute la légitimité. » Pour appuyer son propos, Sandie Boulanger a proposé au photographe Sébastien Carles de la suivre. « À partir du moment où l’on m’a demandé de venir témoigner à l’Assemblée nationale, je me suis dit que même si je suis à l’aise à l’oral, les mots n’étaient pas suffisants. Les photos me semblaient appropriées. Celles de Sébastien Carles sont très poétiques.»
« On soigne les corps, elle soigne les âmes »
Ce jour-là, Sandie quitte le service post-op et poursuit ses visites, pour rejoindre par un dédale de couloirs en sous-sol, le bâtiment où se trouvent les 19 lits de la cancérologie. Dans la chambre, l’une des quatre de la clinique réservée aux soins palliatifs, le volet roulant de la fenêtre est partiellement baissé. Enroulé dans le drap, l’homme se recroqueville, puis cherche une nouvelle position. Le regard accroche une seconde le visage de la psychopraticienne mais ne se fixe pas. « Vous êtes là, mais pas trop là », constate-t-elle, en s’adressant doucement au malade. Le temps paraît s‘arrêter, mais en réalité, il s’échappe à toute allure. On sait le moment précieux. On n’en écrira pas plus.
Dans une autre chambre, c’est d’une voix forte et claire que Thomas (le prénom a été changé) accueille à son tour la psychopraticienne. « Qu’est-ce que vous aimeriez ? », l’interroge Sandie Boulanger. « Je ne sais pas, hésite-t-il. Si, marcher sur mes jambes. » Le silence s’installe, la somatothérapeute masse le diaphragme. « Vous êtes inquiet ? », demande-t-elle.  « Non, pas pour l’instant. » Thomas ferme les yeux.
Un discret « ding » s‘échappe de son smartphone. Puis un deuxième, deux minutes plus tard. Probablement les proches qui viennent aux nouvelles. « Vous voulez votre téléphone ? », propose la psychopraticienne. « Non, c’est bon les messages ! », s‘exclame-t-il. « Vous êtes malade mais pas que ça, souligne-t-elle. Vous êtes un mari amoureux, un papa. Vous ne parlez pas beaucoup mais il est temps de dire à vos enfants que vous êtes fiers d’eux », lui souffle-t-elle.
Jorge Ayllon, un des deux oncologues du service de cancérologie de la clinique de Stains qui n’avait pas l’habitude de travailler avec une somatothérapeute, y voit une forme de complémentarité. « On soigne les corps, elle soigne les âmes », résume-t-il, en rappelant la réalité : « Quand le médecin sort de la chambre, le patient reste tout seul. » Seul avec ses angoisses, ses questions et ses doutes.
© Le Parisien - 12-12-23

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