L’intérêt du patient doit toujours guider la prise en charge de la douleur chronique

La prise en charge de la douleur chronique a connu de très importants progrès ces dernières décennies grâce notamment à la mise en place de Centres d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD). La clinique Bretéché, un établissement ELSAN, a été le premier centre privé à être labellisé CETD.

Le Docteur Véronique Dixneuf, rhumatologue et algologue, coordinatrice de la structure (et co-coordinatrice du centre fédératif du traitement de la douleur de Loire-Atlantique), qui a participé à la naissance du centre et à son déploiement, revient pour nous sur la pluralité des approches et des techniques mises en œuvre, qui toutes ont pour objectif commun l’accompagnement et la prise en charge globale du patient.


JIM.fr : Pouvez-vous nous évoquer la naissance, la mise en place et la structuration du Centre d’évaluation et traitement de la douleur de votre établissement ?

Dr Véronique Dixneuf - Nous avons évoqué la possibilité de constituer une unité douleur au sein de la clinique Bretéché pour la première fois en 1999, sous l’impulsion du Docteur Michel Meignier, algologue et anesthésiste-réanimateur. Au fur et à mesure nous avons donc déployé et structuré notre activité, jusqu’à obtenir au cours de l’année 2000 la reconnaissance CETD (Centre d’évaluation et traitement de la douleur) qui est délivrée par l’ARS tous les cinq ans (notre prochaine réévaluation aura lieu en 2022).

Nous sommes ainsi devenus le premier centre privé à obtenir ce statut. Cette autorisation se base sur des critères bien définis (critères quantitatifs de volume d’activité, critères géographiques d’accès et critères qualitatifs concernant notamment la pluridisciplinarité) et c’est le Docteur Meignier qui a présidé à cette belle aventure.

De très nombreux spécialistes et professionnels pour une pluralité des approches 

Notre équipe compte six médecins algologues équivalent temps plein (ETP). Les autres médecins spécialistes qui interviennent dans le parcours de soin sont nombreux et divers : rhumatologues, médecins rééducateurs, neurochirurgiens, anesthésistes, neurologues, psychiatres, orthopédistes, médecins généralistes… Nous avons donc la chance extraordinaire d’avoir de très nombreux spécialistes qui soit interviennent dans le centre, soit prennent en charge une consultation douleur plein temps.

Parallèlement à cette équipe médicale, nous bénéficions de 2,5 ETP infirmier qui se consacrent uniquement à la prise en charge de la douleur, ce qui s’ajoute aux autres infirmières présentes dans le centre. Le centre compte également quatre psychologues quasiment temps plein et bénéficie de l’intervention d’une neuropsychologue. Nous pouvons également nous appuyer sur une large équipe de professionnels permettant la mise en place de nombreuses thérapeutiques : ergothérapeute, art thérapeute, musicothérapeute, coach sportif…


JIM.fr : Quel est le parcours type des patients pris en charge par votre centre ? Comment sont orientés les patients vers votre structure ?

Dr Véronique Dixneuf - Les patients ont tout d'abord la possibilité de consulter directement. Nous tenons beaucoup à l’existence de cette voie. Quand nous recevons ces patients, nous essayons systématiquement de recueillir des informations complémentaires auprès de leur médecin traitant afin qu’il nous explique le parcours de santé du patient et participe activement à la prise en charge. Les patients restent cependant principalement orientés par les médecins généralistes de la région. Ces derniers, soit nous présentent dans un courrier assez détaillé l’ensemble des éléments de diagnostic et de prise en charge, afin que nous puissions intervenir sur le plan thérapeutique, soit nous adressent les patients pour un bilan de douleurs chroniques à propos desquelles les diagnostics ne sont pas toujours certains. Dans ce cas, grâce à notre équipe (rhumatologues, neurologues, médecins rééducateurs), nous affinons le diagnostic afin d’orienter les thérapeutiques. Certains patients nous sont également adressés par des médecins spécialistes, comme les chirurgiens ou les neurologues.


JIM.fr : Quel est le délai moyen de prise en charge ? Comment sont réalisés les examens complémentaires ?

Dr Véronique Dixneuf - Nous constatons que les errances de patients souffrant de douleurs chroniques sont bien moins fréquentes qu’auparavant. Les médecins généralistes sont tout à fait partie prenante dans l’orientation des patients vers les CETD, de même que les spécialistes. Les patients ont eux aussi été sensibilisés à l’existence des CETD, organisations spécifiques reconnues par les ARS. Cependant, de façon bien plus rare qu’il y a une dizaine d’années, nous pouvons recevoir, de façon marginale, des patients qui sont en errance depuis un, deux, voire trois ans. Nos délais de prise en charge varient entre trois et six mois sauf urgence particulière et sauf pour les douleurs liées au cancer où les délais de prise en charge sont très courts. Bien sûr, la période actuelle est cependant un peu particulière, parce qu’en dépit de ce que nous avons mis en place pendant le confinement pour assurer la continuité des soins, il y a un inévitable besoin de rattrapage. Un travail extraordinaire et très volontaire de la part de toute l’équipe a en effet été réalisé au plus fort de l’épidémie de Covid-19 pour rappeler chaque patient et évaluer au cas par cas l’accompagnement à mettre en place.

Concernant les examens complémentaires nécessaires, ils sont réalisés majoritairement au sein de notre centre. Cependant, en cas d’examens très spécifiques, quand il existe dans la région un référent, nous n’hésitons pas à renvoyer vers lui, à nous appuyer sur les hyper compétences qui existent régionalement.


La pluridisciplinarité conférée par le caractère fédératif est essentielle pour les patients

JIM.fr : Quelle est la coordination entre votre centre et les autres acteurs de santé de la région ?

Dr Véronique Dixneuf - Notre CETD fait partie d’un fédératif, qui regroupe l’ensemble des CETD de Loire-Atlantique et qui se compose des équipes hospitalières, du CHU de Nantes, de l’Hôpital Privé du Confluent ou encore du CETD de cancérologie de l’ICO (Institut de cancérologie de l’Ouest). Il s’agit d’une structure unie sous l’égide de l’ARS qui bénéficie donc d’une importante puissance médicale, pour pouvoir demander des avis très spécialisés.


JIM.fr : Proposez-vous des outils d’évaluation de la douleur spécifique ? Quel progrès attendez-vous concernant l’évaluation de la douleur en général et l’évaluation de celle des jeunes patients, des patients âgés et ceux connaissant des difficultés d’expression en particulier ?

Dr Véronique Dixneuf - Nous utilisons les outils d’évaluation qui sont validés par l’ensemble de la communauté médicale internationale et par toutes les sociétés savantes. Ce sont les échelles d’évaluation analogiques ou les échelles d’évaluation verbales. Chaque maladie a son échelle d’auto-évaluation ou d’évaluation spécifique. Ces échelles spécifiques sont intéressantes et doivent être utilisées, mais il faut veiller à ne pas « ranger » le patient dans une échelle. Pour nous le patient, c’est une globalité. L’échelle fait partie de notre évaluation, elle est une aide importante, notamment, par sa répétition, parce qu’elle permet de comparer des résultats, de voir leur évolution dans le temps. Elle peut aussi permettre d’initier la discussion avec les patients. Pour la pédiatrie, nous avons choisi de travailler en collaboration avec les centres de référence en pédiatrie. Cependant, concernant les adolescents, l’utilisation de l’échelle doit tenir compte du fait que ces derniers peuvent être mal à l’aise avec l’idée que l’on essaye de « cadrer » leur douleur, même s’ils parviennent à comprendre qu’il s’agit d’un outil utile. Pour répondre aux difficultés d’expression, nous utilisons un vocabulaire adapté, qui exclut le plus possible le verbiage médical, pour préférer les mots du quotidien.

Parallèlement à ce travail d’évaluation, dans certaines pathologies, pour retrouver une étiologie à la douleur chronique, nous essayons dans un premier temps de disposer de résultats complémentaires, grâce à un large panel d'examens adaptés, qu’il s’agisse d’imagerie (IRM, scanner, scintigraphie osseuse, ostéodensitométrie) ou de biologie (y compris les marqueurs immunologiques). Mais parfois, nous ne retrouvons pas d’étiologie. Nous pouvons aussi être face à des patients, dont la pathologie étiologique est traitée (sclérose en plaque, hernie discale…) mais des douleurs neuropathiques chroniques perdurent. 

Nous traitons alors ici les douleurs neuropathiques séquellaires. Le cas le plus fréquent est la lombosciatique séquellaire à une hernie discale ou à une compression rachidienne, même après traitement de la hernie ou de la compression.


JIM.fr : Quelle prise en charge spécifique proposez-vous au sein de votre centre et pour quelle pathologie en particulier ?

Dr Véronique Dixneuf - Nous prenons en charge un important éventail de pathologies. La prise en charge des douleurs neuropathiques chroniques (qu’elles soient post-chirurgicales ou liées à des maladies neurologiques, à d’autres types d'affections ou postraumatiques) constitue une très grande partie de notre activité. Les douleurs articulaires chroniques, les lombalgies chroniques, les lombosciatiques chroniques sont des pathologies que nous prenons très fréquemment en charge. Nous pouvons également évoquer les algodystrophies post-traumatiques ou non traumatiques qui nous sont adressées par les chirurgiens, les médecins généralistes, les médecins rééducateurs.

Par ailleurs, nous avons la chance de compter parmi nos confrères un neurochirurgien spécialiste des douleurs faciales et des céphalées.

Nous prenons également en charge les douleurs liées au cancer, tandis que nous comptons un référent pour le syndrome d’Ehler-Danlos. Nous pouvons également accompagner des patients souffrant de douleurs abdomino-pelviennes, bien que le centre de référence soit en la matière dans notre région l’Hôpital Privé du Confluent.


Quelle que soit la technique, l’évaluation et la validation sont primordiales

JIM.fr : Quels sont les traitements mis en œuvre dans votre centre ?

Dr Véronique Dixneuf - Nous connaissons également un très large panel de thérapeutiques, en lien avec le type de pathologies et de douleurs. Je vous ai parlé par exemple de la chirurgie, concernant les douleurs faciales ou les céphalées.Toujours en chirurgie, le Professeur Jean-Paul Nguyen est un spécialiste de la stimulation magnétique transcrânienne (SMT) technique non médicamenteuse qui est utilisée pour stimuler certaines zones du cerveau afin d’améliorer la symptomatologie douloureuse. Il met également en œuvre la stimulation transcrânienne à courant direct (tDCS). Le Professeur Marc Sindou, pour sa part, vient une ou deux semaines par mois pour faire de la chirurgie de la douleur chronique, comme la drezotomie, activité qu’il partage avec un autre neurochirurgien de l’équipe (la drezotomie consiste à interrompre chirurgicalement de manière sélective la transmission du message nociceptif et/ou à neutraliser les générateurs de la douleur)

Nos médecins anesthésistes peuvent pour leur part procéder à l’implantation de pompes intrathécales et de neurostimulateurs en particulier pour les patients atteints de cancer ou de douleurs neuropathiques séquellaires résistantes aux traitements.

Concernant les thérapies non médicamenteuses et non chirurgicales, notamment des méthodes intéressantes comme l’hypnose, l’acupuncture ou encore la mésothérapie, la reprise encadrée de l’activité sportive : l’essentiel est qu’il s’agisse de pratiques dûment validées. Ceci est fondamental pour nous.

Parallèlement, grâce à nos infirmières douleurs, nous pouvons proposer des actions d’éducation thérapeutique ; tandis que j’ai déjà évoqué les nombreux professionnels qui interviennent dans notre centre, comme les psychologues, les art-thérapeutes, musicothérapeutes…


Permettre un accompagnement global quand c’est nécessaire

Enfin, outre les consultations, notre CETD peut proposer une hospitalisation de jour, ce qui nous permet de prendre en charge les patients ponctuellement soit pour des perfusions, soit pour une évaluation, soit pour la mise en place de techniques comme les patchs antidouleurs dans certaines douleurs neuropathiques. Des hospitalisations complètes enfin sont possibles pour les prises en charge de patients qui ont vraiment besoin à un moment donné d’être accompagnés de manière globale, avec souvent l’intervention d’un psychologue.

JIM.fr : Quelles sont les modalités de prise en charge financière des patients ?

Dr Véronique Dixneuf - Nous sommes extrêmement attentifs à assurer un total remboursement des thérapeutiques et des prises en charge. Nous exerçons tous en secteur 1 ou équivalent. Ce reste à charge zéro pour les patients est parfois un défi, car il existe de nombreuses thérapeutiques, qui bien que validées par la communauté scientifique, ne bénéficient pas encore de cotation. Dans ces situations, outre des discussions avec les autorités, nous essayons de mettre tout en œuvre dans l’intérêt du patient pour qu’il n’ait pas à en supporter le coût, surtout quand le traitement marche !


JIM.fr : Participez-vous à des essais cliniques ?

Dr Véronique Dixneuf - Nous participons à de nombreux programmes de recherche clinique, avec la collaboration du CHU de Nantes, et nous bénéficions du soutien d’ELSAN en la matière. Concernant des méthodes déjà validées, nous pouvons être soit promoteur ou acteur, par exemple pour la tDCS, la neurostimulation médullaire ou paravertébrale, nous travaillons alors en collaboration avec le CHU de Nantes, qui bénéficie d’une parfaite expérience et d’un comité d’éthique. Concernant les techniques non médicamenteuses et non chirurgicales non encore validées, les études sont très compliquées à mettre en place, et cela nous manque.

Toute méthode utilisée, tout traitement utilisé, toute méthode non médicamenteuse utilisée doit faire l’objet d’une recherche, de validation de la prise en charge et une fois cette validation actée, il convient de continuer à déterminer si le traitement est bien utile pour le patient. Oui, il faut être innovateur, mais il faut être aussi prudent sur l’innovation. C'est-à-dire s’appuyer sur des structures qui ont l’habitude de faire des recherches, et qui ont l’habitude de mettre en place des protocoles, avec des comités d’éthique. Il est certain que c’est important que les centres s’entendent pour conduire des projets de recherche, de surveillance médicamenteuse, de surveillance des techniques, de mise en place de nouvelles thérapeutiques.


Mettre l’accent sur la formation aux techniques particulières après des progrès extraordinaires

JIM.fr : Les médecins généralistes et spécialistes libéraux vous semblent-ils suffisamment formés à l’évaluation et à la prise en charge de la douleur ?

Dr Véronique Dixneuf - Cela fait 20 ans que je me consacre à la prise en charge de la douleur chronique et j’estime qu’il y a eu un progrès extraordinaire chez nos confrères quant à la connaissance de la spécialité "douleur chronique". Il y a un degré de compréhension des patients douloureux chroniques par nos confrères qui est vraiment important. Désormais, alors qu’existent une spécialité et une formation initiale, la prise de conscience est encore plus forte. Je suis très fière de voir que les collègues ont vraiment changé leur paradigme par rapport aux patients douloureux chroniques. Avoir un patient douloureux c’est difficile à gérer et souffrir de douleurs chroniques pour le patient c’est épuisant, donc évidemment cela peut rejaillir sur la relation médecin/malade. Les médecins ont appris à gérer cela.


JIM.fr : Quel dispositif pourrait selon vous être déployé pour améliorer la prise en charge de la douleur en France ?

Dr Véronique Dixneuf - L’essentiel pour moi est de mettre l’accent sur la formation continue. Avec ELSAN, nous élaborons de nombreuses formations DPC sur les nouvelles techniques et les techniques très particulières. Il s’agit de transmettre des messages importants, par exemple sur l’implantation des pompes intrathécales ou encore l’utilisation ou non des opioïdes forts et faibles. Nous sommes tous chargés de cours et nous avons mis en place un programme à destination des médecins, mais aussi des infirmiers, des sages-femmes, des pharmaciens ou encore des kinésithérapeutes. Cela nous tient vraiment à coeur que l’ensemble des professionnels participent à la formation et bénéficient de cette formation à la prise en charge de la douleur. Nos formations rencontrent un grand succès et nous sommes très attentifs à l’existence d’une interaction au cours des sessions, même à distance.


JIM.fr : Vous avez rapidement parlé des opiacés. Par rapport à la situation américaine très problématique, quel est votre regard sur le cas de la France ?

Dr Véronique Dixneuf - En France, c’est un problème que nous essayons de maîtriser, peut-être plus qu’aux Etats-Unis. Nous sommes très attentifs à l’utilisation des opiacés et au risque de dépendance. Cela fait plusieurs années qu’on en parle et qu’on essaye de limiter les prescriptions chez les patients pour lesquels ces traitements ne semblent pas utiles. Nous sommes, notamment dans les CETD, particulièrement prudents. Cela ne veut évidemment pas dire que nous bannissons les opiacés, mais nous mettons tout en œuvre pour une utilisation plus raisonnée et mieux adaptée.

Près d’une quarantaine d’établissements ELSAN prennent en charge spécifiquement le traitement de la douleur, dont 5 qui ont accueilli plus de 500 patients en 2019 : la Polyclinique du Parc à Caen, la Clinique Bretéché à Nantes, le Centre Clinical à Angoulême, la Clinique Bouchard à Marseille et le Pôle Santé Sud au Mans. ELSAN prend en charge un tiers des patients du secteur privé qui viennent se faire soigner pour des douleurs.


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