Téléconsultation : retour d’expérience positif d’une pédiatre

Longtemps objet de dispositifs locaux s’appuyant sur des financements non pérennes, la téléconsultation est enfin sortie de ce cadre marginal avec la fixation (après de longues années de discussions) en septembre 2018 d’une tarification par la Caisse nationale d’assurance maladie. La définition de ce cadre a contribué à un certain essor de la téléconsultation, même si les débuts furent timides et que les espérances affichées par l’Assurance maladie n’ont pas encore été réalisées. La télémédecine est cependant plébiscitée pour ses atouts face à la désertification médicale et à la pénurie de certains spécialistes.

Telle est notamment l’expérience décrite pour nous par le Dr Claire Duhaut, pédiatre, qui exerce au sein de l’Hôpital privé Océane (à Vannes), établissement ELSAN, groupe leader dans l’hospitalisation privée en France. Le praticien considère qu’avec l’appui d’ELSAN, la télémédecine qu’elle pratique depuis le mois de février 2019, pourrait permettre d’améliorer le suivi de nombreux patients et répondre à différentes problématiques, d’autant plus que l’acceptation des familles apparaît très bonne. Retour d’expérience.

JIM.fr : Pourquoi avez-vous souhaité développer une activité de téléconsultation pédiatrique ?

Dr Claire Duhaut – Cette activité m’a été présentée et proposée par ELSAN. J’ai été naturellement intéressée d’une part parce que la dermato-pédiatrie que j’exerce me paraît bien adaptée à la téléconsultation et d’autre part parce que nous sommes dans un territoire où l’on compte, dans un périmètre de 50 kilomètres, de moins en moins de pédiatres. Nous avons donc commencé à réaliser des téléconsultations en février dernier.

JIM.fr : Combien de téléconsultations ou de télé-expertises avez-vous réalisé depuis ? Quel premier bilan tirez-vous de cette expérience concernant sa faisabilité et son acceptabilité par les patients ?

Dr Claire Duhaut : Nous avons réalisé un peu moins d’une centaine de téléconsultations. Le rythme tend à s’accélérer. Nous comptions entre une à deux téléconsultations par semaine les premiers temps et j’en réalise désormais entre deux et quatre. Je constate que l’acceptation par les patients est le plus souvent excellente, même de la part de ceux que je connais peu. Beaucoup apprécient de pouvoir téléconsulter depuis leur lieu de vacances ou de l’étranger, non seulement parce que c’est pratique, mais aussi parce que cela permet de les sécuriser.

Un gain de temps très important !

Pour ma part, j’observe que la téléconsultation me permet un gain de temps très important, jusqu’à 50 % par rapport à une consultation classique. Il est vrai qu’en pédiatrie, l’habillage et le déshabillage des patients prennent du temps et dans le cadre d’une téléconsultation il est moins nécessaire d’attendre le rhabillage de l’enfant, tandis que pour les parents c’est plus confortable de pouvoir prendre le temps de correctement rhabiller leur nourrisson.


JIM.fr : Au-delà de cette dimension pratique, la téléconsultation revêt-elle des aspects particuliers en pédiatrie ?

Dr Claire Duhaut : Il me semble qu’en pédiatrie, la téléconsultation peut être un atout précieux pour les parents et le nouveau-né après la sortie de la maternité. Après le premier examen, dix jours après la sortie, qui permet notamment d’éliminer des pathologies cardiaques sous-jacentes, la téléconsultation est un instrument utile pour répondre aux questions nombreuses que se posent les jeunes parents face aux maux habituels des nourrissons. Ce dispositif peut permettre de rassurer les mères (et les pères) sur leurs compétences et d’éviter la surenchère médicamenteuse qui n’est pas toujours utile à l’enfant.



JIM.fr : Quels sont selon vous les atouts et les limites de la téléconsultation pour le suivi de patients atteints de maladies chroniques ?

Dr Claire Duhaut : Parallèlement à des examens cliniques réguliers, la téléconsultation me paraît être pertinente pour le suivi de nombreuses maladies chroniques chez l’enfant. On peut prendre différents exemples. Ainsi, concernant l’asthme, il est possible de conduire une bonne évaluation de l’efficacité du traitement par l’interrogatoire. Certes, on n’auscultera pas l’enfant systématiquement, mais il est possible d’entendre la présence ou non de sifflement, de constater des signes musculaires de détresse respiratoire au niveau du thorax et puis surtout le parent pourra préciser l’évolution de la toux, de l'alimentation, et de la gêne respiratoire. Il s’agira de l’interroger pour savoir s’il présente une dyspnée d’effort, s’il tousse encore la nuit, et s’il dort bien. Face au diabète, dont je suis moins familière, je pense qu’il est également tout à fait possible de mettre en place un suivi par téléconsultation. La mucoviscidose peut également se prêter aux évaluations à distance : des conseils et des ordonnances peuvent notamment être ainsi rapidement adressés aux familles. Ce suivi à distance en parallèle d’un suivi clinique classique offre une bonne complémentarité.


Pallier le manque de spécialistes

De la même manière, dans les troubles du développement neuropsychologique (troubles du spectre autistique, trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité notamment) le suivi repose essentiellement sur un interrogatoire minutieux, concernant l’enfant. Ainsi, après un premier examen clinique approfondi (pour rechercher une dysmorphie ou une cause génétique évidente et écarter la présence de signes d’appel) les consultations reposent principalement sur l’interrogatoire. Ici, la téléconsultation peut donc être adaptée et il existe déjà une plateforme dédiée qui pourrait être enrichie. Aujourd’hui, nous faisons face à de très importants besoins en consultations neuro-pédiatriques, dans toute la France : la télémédecine peut être une réponse à cette pénurie. Je pense également à ce qui pourrait être développé en orthophonie pour la prise en charge des retards de langage.


JIM.fr : Utilisez-vous des outils connectés ou souhaiteriez-vous utiliser des outils connectés pour réaliser vos téléconsultations ?

Dr Claire Duhaut – Pour le moment, je n’ai pas encore eu recours à des outils connectés. Mais dans ce domaine également, beaucoup de choses paraissent possibles et souhaitables à développer. Ainsi, concernant la prise en charge des otites, on pourrait imaginer que les familles, dans lesquelles les enfants sont sujets à des otites à répétition, utilisent des fibroscopes connectés à leur smartphone et envoient les images aux médecins. Aujourd’hui, compte tenu des prix pratiqués relativement accessibles et de la disponibilité de ce type d’objet (que l’on peut acheter sur internet), certains patients utilisent déjà des fibroscopes auriculaires pour déterminer s’ils ont un bouchon d’oreille ou pas. Parmi les autres objets médicaux connectés qui pourraient être installés dans des maisons médicales dépourvues de pédiatres ou acquis par les patients (atteints par exemple de pathologies chroniques) figurent également les capteurs de température, les saturomètres, les balances et pour les jeunes asthmatiques les spiromètres électroniques.


Nous sommes également confrontés à un important déficit d’ophtalmologistes. La piste du déploiement de la réfractométrie automatique est à cet égard à creuser, à mon avis. Certains proposent d’installer des réfractomètres à la sortie de divers lieux publics. On pourrait également envisager que dans les logiciels des interfaces de téléconsultation, un dispositif (deux petits yeux) s’affiche sur l’écran des patients. En se plaçant en face des repères, les patients pourraient alors déclencher une mesure automatique et les résultats seraient transmis au praticien.


JIM.fr : Quel développement envisagez-vous pour enrichir votre activité de téléconsultation ?

Dr Claire Duhaut - Ce n’est pas encore au programme, mais nous serions assez intéressés de développer au sein des 34 maternités ELSAN un programme de téléconsultation à l’intention des jeunes mères et de leur nourrisson à la sortie de la maternité. Il s’agirait de fixer dix ou quinze jours après la sortie, ou une deux téléconsultations avec l’auxiliaire de puériculture, la puéricultrice, la sage-femme pour faire un bilan rapide de la dyade mère-enfant grâce à un questionnaire évalué.


Un plus indéniables pour les territoires les plus isolés

Il s’agit cependant encore d’un projet à l’état d’ébauche qui nécessite des crédits de l’Etat et des groupes. La question des financements est par ailleurs rendue complexe par les incertitudes quant à la cotation.


JIM.fr : A propos des cotations, les rémunérations proposées par la CNAM vous paraissent-elles suffisantes ?

Dr Claire Duhaut - Oui, cela me semble bien adapté.



JIM.fr : Pourriez-vous envisager des partenariats avec des maisons médicales ou des centres de soins ?

Dr Claire Duhaut - Bien sûr, ce serait vraiment très positif de pouvoir envisager de tels partenariats, d’autant plus que nous sommes dans une région, le Morbihan, qui compte plusieurs îles où les patients ne manquent pas mais où il n’y a pas de spécialistes et pratiquement pas de passage de PMI. Ainsi très récemment, j’ai réalisé une téléconsultation avec une patiente vivant à Belle-Ile. Nous avions convenu de ce rendez-vous à la sortie de la maternité et cela est apparu très rassurant pour elle.


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